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INITIER LES ENFANTS À L'ART, UNE MISSION PAS IMPOSSIBLE



Une enfant au musée du Louvre.
Photo Denis Allard / REA

Source originale de l'article: www.télérama.fr
Propos recueillis par Michel Abescat 


Par quoi commencer ? Que faut-il dire, expliquer ? A partir de quel âge peut-on emmener les enfants au musée ? 

Marie Sellier auteure d’une quarantaine de livres d’initiation à l’art répond à nos questions.

Considérons les premières étapes franchies. Oui, il faut initier les enfants à l’art dès le plus jeune âge. Non, ça ne se fera pas tout seul. Oui, c’est bien de les emmener au musée ou à une exposition. Ok, je me lance. Reste un problème de taille : la perspective apparaît souvent anxiogène, voire prend carrément des allures de parcours du combattant. Il suffit de s’imaginer un samedi après-midi dans le hall bondé du Louvre, les enfants électriques, l’ambiance surchauffée et toutes ces œuvres en embuscade. Par quoi commencer ? Quel chemin choisir ? J’emmène le petit avec la grande ou vaut mieux séparer les visites ?

Si l’on veut bien être honnête, la difficulté vient ainsi d’abord des adultes eux-mêmes. Pas vraiment experts, pour la plupart, en histoire de l’art, ils tremblent à l’idée du discours à tenir devant tel ou tel tableau ou, pire, telle installation contemporaine. La Dentellière, c’est quel peintre déjà ? Véronèse, quel siècle ? Miró, quel mouvement ? Que faut-il dire, expliquer, raconter ? Leurs souvenirs d’interminables visites de musées quand ils étaient petits pèsent également une tonne. L’expérience les avait dégoûtés pour un bon moment.


Marie Sellier, auteure d’une quarantaine de livres d’initiation à l’art, a eu la chance d’échapper à cette malédiction grâce à une grand-mère bonne fée, qui l’a prise très tôt par la main pour lui faire découvrir en douceur la beauté des œuvres. En 1992, elle créait la collection « L’enfance de l’art » à la Réunion des Musées nationaux. Depuis, elle n’a cessé de rencontrer des enfants à travers animations scolaires et ateliers. Son expérience est précieuse.

“Ne pas leur asséner des dates, des noms de mouvements en ‘isme’”

Une enfant devant un tableau de Modigliani.
Photo Sophie Loubaton / Hans Lucas

« Tout commence par la peur des adultes, cette espèce de trouille de celui qui se sent exclu d’un monde dont les codes lui échappent. Je suis toujours étonnée du nombre de personnes qui me disent : “L’art, je n’y connais rien.” Ou des enseignants qui se rabattent sur le français ou les maths en lieu et place de l’initiation artistique qu’ils craignent de ne pas maîtriser. La démarche, pourtant, est d’abord sensible, ouverte à tous, il suffit d’ouvrir les yeux, sans préjugés. De laisser venir les émotions. Mais la plupart des gens qui se sentent à l’écart ne s’autorisent même pas à regarder l’œuvre d’art. Il faut donc saisir les enfants avant qu’ils soient contaminés par cette grande peur et leur montrer des œuvres. Ne pas jargonner, ne pas leur asséner des dates, des noms de mouvements en “isme”. Les mettre par exemple devant Les Nymphéas, de Monet, sans leur infliger toute la vie du peintre. Les laisser barboter, s’imprégner de la beauté de l’œuvre, parce que l’art, c’est ça, une œuvre n’existe que par le regard qu’on porte sur elle. Dans un premier temps, peu importe que l’artiste ait vécu à telle ou telle époque. Les adultes comme les enfants n’ont aucune raison d’avoir peur. »

“Les enfants ont le droit de ne pas être sensibles à Rembrandt par exemple.“

« On peut initier les enfants à l’art le plus tôt possible. Je suis émerveillée par la capacité des bébés à saisir ce qui les entourent, en particulier à sentir la beauté des reproductions qu’on leur présente. C’est incroyable ce qu’une œuvre d’art peut dire aux enfants. Elle n’est pas raisonnable, elle exprime autre chose du monde que les enfants entendent. Elle est intouchable, existe par elle-même, on ne peut rien lui ajouter ni rien lui enlever. Sa beauté est de l’ordre du sacré, et les tout-petits y sont parfaitement sensibles. Plus tard, à l’adolescence, la démarche sera plus difficile si elle n’a eu aucun précédent, car toutes les barrières sont alors installées qui éloignent de l’art. En particulier toutes ces injontions écrasantes, ceci est beau, cela ne l’est pas, cet artiste est reconnu, il faut l’aimer. Je suis désolée, mais les enfants ont le droit de ne pas être sensibles à Rembrandt par exemple. A 8 ans, il ne m’intéressait guère, je préfèrais des tableaux plus anecdotiques à ses grands portraits qu’aujourd’hui je place au sommet. A l’époque, j’aimais beaucoup La Mort de Sardanapale, de Delacroix, ces chevaux hennissants, ces femmes agonisantes, ces voiles qui volaient. Et pourquoi pas ? »

“L’idée qu’il y aurait un ordre à respecter est extrêmement paralysante”

« L’ordre n’a aucune importance. L’idée qu’il y aurait un ordre à respecter est extrêmement paralysante. Faut-il par exemple commencer par les chefs-d’œuvre les plus reconnus ? La Joconde ? Si l’on veut, mais il n’y a aucune obligation. Un jour, alors que je préparais un nouveau livre d’initiation à l’art, je me souviens qu’une amie de ma fille, qui devait avoir 6 ou 7 ans, m’avait demandé : “Est-ce qu’il y aura la Joconde ?” Elle venait de découvrir le tableau, elle avait envie de le retrouver. Personnellement, je pensais que cette œuvre était trop évidente, je l’avais évitée. Le lendemain, j’ai décidé de placer la Joconde dans le livre. Il faut faire confiance à son intuition, on peut même commencer par des peintres amateurs, puis entraîner l’enfant vers des œuvres plus exigeantes. Je suis convaincue, pour en avoir observer des centaines, qu’ils savent reconnaître la beauté d’un geste, d’une composition, comme ils sont sensibles à un morceau de musique, au rythme d’un poème. »

“L’apprentissage du regard passe également par le dessin. En dessinant, on mastique le tableau. On l’ingère.”

 
Photo Romain Gaillard / REA

« Le plus simple est de les guider en leur demandant ce qu’ils voient, parce qu’ils ne voient pas tous la même chose. Ils vont souvent vers un détail qui les relie à leur vie. L’échange entre eux ou avec l’adulte va élargir leur regard. Récemment, devant une annonciation, une petite fille du groupe que j’animais s’est focalisée sur l’auréole autour de la tête de Marie. « C’est le signe qu’elle est puissante », nous a-t-elle dit. Les autres n’y avaient pas fait attention. L’apprentissage du regard passe également par le dessin. On voit d’ailleurs de plus en plus souvent, dans les musées, des enfants assis par terre devant un tableau, munis de blocs et de crayons. Je dessine moi-même souvent quand je prépare un livre. Le dessin nous oblige à rester un moment devant une œuvre, évite le zapping trop rapide. En dessinant, on mastique le tableau. On l’ingère. Quand on travaille à plusieurs, on place ensuite les dessins les uns à côté des autres, et les différences de regards, tout ce qui a été saisi parfois de manière inconsciente par chacun des membres du groupe, apparaissent clairement. Le corpus vaut alors toutes les analyses de l’œuvre. »

“Il ne faut pas que le discours se substitue à la première étape du regard.”

« Il vaut mieux leur expliquer dans un second temps, car il ne faut pas que ce discours se substitue à la première étape du regard. Il faut respecter cet ordre : voir, s’émouvoir, savoir. Ce chemin permet d’avoir une meilleure compréhension et bientôt l’envie d’aller plus loin. La demande de savoirs vient ainsi naturellement. J’en fais l’expérience en permanence. Au musée des Beaux-Arts de Dijon, j’étais avec un groupe d’enfants devant La Nativité, de Robert Campin. La toile représente deux femmes venues assister Marie. Qui sont-elles ? Et pourquoi la crèche est-elle à moitié détruite ? Et qu’y a-t-il d’écrit sur les philastères que tiennent les anges ? C’est du latin. Qu’est-ce que ça veut dire ? Toutes les questions sont venues, en oscillation entre voir et savoir. »

“Les installations, les vidéos ‘parlent’ parfois plus directement aux enfants.”

« Certaines œuvres contemporaines, certaines installations ont un statut particulier parce que le discours fait quasiment partie de l’œuvre. Mais cela n’empêche pas d’être ému par l’installation de feuilles de lauriers de Giuseppe Penone, Respirare l’ombra, ou par un grand tableau bleu de Klein. Je me souviens d’une installation de Buren au musée de la Chartreuse de Douai, La Cabane rouge aux miroirs. Ce jour-là, c’est l’œuvre qui a le plus fasciné les enfants. Cette cabane était grande, on pouvait y entrer, elle ne ressemblait à rien de ce à quoi ils s’attendaient. Le classicisme des tableaux alignés sur les murs, souvent d’un autre temps, peut avoir un côté glaçant. Les installations, les vidéos, le signe évident du contemporain « parlent » parfois plus directement aux enfants. Comme ces toiles immenses de Joan Mitchell exposées à la Fondation Vuitton. Les petits que j’accompagnais ont été littéralement fascinés par cette manière d’échapper au cadre habituel. »

“L’enfant repère des œuvres, puis on prépare un itinéraire, comme pour un jeu de piste.”

« Les livres peuvent être d’excellents instruments, à condition de faire attention à la tranche d’âge à laquelle ils s’adressent. Il ne faut évidemment pas prendre un livre trop compliqué pour un tout-petit. On feuillette ainsi un livre sur un musée, l’enfant repère des œuvres, puis on prépare un itinéraire, comme pour un jeu de piste. Quand on arrive au musée, on se met en quête des œuvres. La Petite Danseuse, de Degas, elle est où ? Et L’Ours blanc, de François Pompon ? On interroge un gardien. Et Le Rhinocéros, de Veilhan ? Ainsi, le musée devient un lieu vivant. Quand ma grand-mère m’emmenait au Louvre, nous n’allions pas « au musée ». Nous allions « voir les sarcophages ». Ou « les Rubens ». Je m’en souviens encore. D’origine flamande, ma grand-mère adorait les femmes de Rubens, les naïades du Débarquement de Marie de Médicis au port de Marseille en particulier. Moi, je les trouvais un peu grosses, mais elle les aimait tellement que je regardais ces tableaux avec intérêt. »

“Je fais parler une œuvre. Ou j’imagine des dialogues”

« Lorsque j’écris un livre d’initiation, ne pas ennuyer est mon obsession parce que je sais que l’art peut-être une matière réfrigérante. Je varie donc le propos d’un livre à l’autre. Parfois, je fais parler une œuvre. Ou j’imagine des dialogues. A d’autres occasions, j’emploie la troisième personne. Je peux être directement dans l’œuvre ou au contraire à sa périphérie, en mettant le peintre en scène par exemple, en le faisant parler. Je cherche beaucoup avant de me décider, et souvent vient le moment où j’ai l’impression que l’œuvre me chuchote ce que je dois dire à son propos, en me mettant à hauteur d’enfant. Aujourd’hui, il n’y a pas que les livres qui peuvent servir de médiation, des applications ont été développées. En ce qui me concerne, je viens par exemple de travailler sur Arte Trips, des petits scénarios de réalité augmentée édités par Arte. J’ai travaillé sur Les Jeux d’enfants, de Bruegel, en imaginant que ces enfants étaient condamnés à jouer pour l’éternité, qu’ils souhaitaient s’échapper mais n’y parvenaient pas. Les réalisateurs ont fait un travail extraordinaire, ils sont arrivés à faire vivre l’œuvre de Bruegel. La découverte de l’art passe par mille moyens. Nous avons l’embarras du choix ! »

Marie Sellier a publié de nombreux livres d’initiation à l’art. Elle a notamment initié et dirigé deux collections à la Réunion des Musées nationaux : « L’enfance de l’art » (une quinzaine de titres sous sa signature) et « Mon petit musée » (une douzaine de titres).

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