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La Grand Accélération et l'Art Anthropocène

Ice Texts – Didn’t Know? [David Buckland], 2005-2009

C’est au début des années 2000 que les climatologues Will Steffen, Paul Crutzen et l’historien John McNeill ont proposé le terme de « grande accélération » pour désigner un phénomène révélateur de bouleversements sociaux et environnementaux par l’humanité. La grande accélération, appelée aussi période de l’Anthropocène, est un concept identifiant les impacts néfastes des activités humaines sur l’environnement. Ces soixante dernières années, les êtres humains ont altéré les écosystèmes plus rapidement et plus profondément que dans aucune autre période comparable de l’histoire humaine, mentionnent Issberner et Léna dans un article paru sur le site de l’UNESCO. Dans son livre Pour une philosophie de l’Anthropocène (2017), Alexander Federau explique; « L’Anthropocène constitue la seconde transition géologique vécue par l’humanité. Pour la première fois, les humains ne sont pas seulement les témoins de ces changements, mais ils en sont les auteurs » (p.14). Il est clairement démontré par la communauté scientifique que l’humanité modifie actuellement et de manière considérable toutes les sphères environnementales de la planète toute entière (climat, atmosphère, saisons, conditions météorologiques, précipitations, fonte des glaces, etc.). Non seulement ces activités ont une incidence sur l’être humain, mais touchent aussi la vie non-humaine1 (Beau, Larrère, 2018). L’Anthropocène est le moment où l’histoire géologique et l’histoire humaine se rejoignent (Chakrabarty cité dans Federau, 2017).

Conséquemment, certains artistes ont choisi de travailler de pair avec des scientifiques afin de démontrer de manière artistique les récentes découvertes liées à la grande accélération. « L’implication des artistes et des scientifiques dans un processus créatif vise ainsi à soulever des questions liées aux changements climatiques et à susciter des réactions, des émotions, sur les impacts néfastes de l’activité humaine sur la nature » (Burtynsky, 2018). Ce nouveau mouvement artistique de l’art Anthropocène, né au début des années 2000, dénonce l’action humaine comme étant une nuisance considérable à l’environnement. Appelé aussi l’art de la fin du monde, ces collectifs scientifiques-artistes nous livrent des messages explicites sur les répercussions environnementales de notre mode de vie moderne. C’est le cas notamment des artistes tels que : David Buckland – Ice Texts – Didn’t Know ? (2005-2009), une œuvre issue de l’expédition Cape Farewell – The story so far (2009-2011), Edward Burtynsky – The Anthropocene Project – The Human Epoch (2018) et Adam Sebire – AnthropoScene : Breakdown 1 (2018). Ils dénoncent à travers leurs œuvres les impacts néfastes de l’activité humaine sur l’environnement. Comme le dit si bien Buckland : « […] nous savons que l’action humaine est à l’origine de problèmes environnementaux. Les scientifiques nous ont mis en garde que des changements au sein des sociétés devaient être apportés. Mais il existe plusieurs manières d’exposer ces faits. Des manières beaucoup plus simples, dans un langage beaucoup plus accessible, que le public comprendra et avec lequel le public s’impliquera émotionnellement. C’est une chose très importante, nous ne devons pas nous soucier de ces choses exclusivement de manière intellectuelle, mais aussi émotionnelle » (Buckland, 2003, 0h 00m 57s). 

The Anthropocene Project - The Human Epoch [Edward Burtynsky], 2018

Dans le même registre, on retrouve l’artiste vidéaste et cinéaste allemand Julian Rosefeldt et son œuvre In the Land of Drought (2015). Selon la rédactrice de Rosefeldt, Ellen Lapper : « l’œuvre confronte la relation entre l'homme et son impact sur le monde […] la pièce de 43 minutes, entièrement filmée à partir d’un drone, revient sur un futur imaginaire de l'après-Anthropocène et des conséquences d'une influence humaine significative sur Terre. Une armée de scientifiques semble enquêter archéologiquement sur les vestiges de la civilisation après l’extinction de l’humanité »  .  

Rosefeldt développe son propos autour de la désolation, de l’aridité de la terre, de la dévastation, de la toxicité suite à la surexploitation de l’environnement par l’humain. Il est très intéressant de constater comment l’artiste a choisi de véhiculer de manière très subtile l’accélération de la vitesse, par l’hyper ralenti de la temporalité vidéo ainsi que par l’étendue du désastre environnemental.


In the Land of Drought [Julian Rosefeldt], 2015

Visionner la vidéo de Rosefeldt, In the Land of Drought, c'est par ici >>

Les valeurs esthétiques de l’œuvre portent un message empreint de désolation et d’une certaine forme de détresse. L’expérience visuelle est très intéressante, entre l’alternance des scènes des vestiges de civilisations disparues, filmées en plongées à vol d’oiseau, des scènes avec les épaves mécaniques et les structures abandonnées filmées en plans rapprochés. Ces scènes font écho à un passé troublé par des mécanismes industriels, visiblement ignoré des peuples ayant habités cette terre, aujourd’hui disparu. On peut aussi faire une étroite corrélation entre les scènes qui se succèdent sous différents angles, plans et prises de vues, semblables à un processus de destruction de l’environnement, se déroulant sur des décennies. L’alternance entre les différents plans aériens de la région nous montre à la fois, l’étendue du désastre et l’immensité du territoire, en comparaison des êtres humains qui semblent si insignifiants par leurs tailles microscopiques, analogues à des micro-organismes. Dans sa manière d’aborder l’accélération et le temps humain en dichotomie à celui de la nature,  Rosefeldt nous permet de réaliser que  l’hyper ralenti d’une vidéo peut véhiculer un message puissant concernant les effets néfastes de l’accélération de la vitesse sur l'environnement.

© Nancy Lauzon

1 Selon l’anthropologue Philippe Descola et son expérience de vie avec le peuple Achuar d’Amazonie, les êtres vivants des règnes; animal, végétal et parfois minéral constituent les non-humains.

Références:

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Texte extrait de PERCEPTION, ACCÉLÉRATION ET TEMPORALITÉS MULTIPLES EN INSTALLATION VIDÉO IMMERSIVE. Essai création présenté à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Comme exigence partielle du Diplôme d'Études Supérieures Spécialisées en Arts Par Nancy Lauzon. © Nancy Lauzon

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Source de l'article: Art Nalaz - Le Blogue, De la Grande Accélération à l'Art Anthropocènehttps://www.artnalaz.com/2023/09/la-grand-acceleration-et-lart.html

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